Quand vous êtes-vous senti le plus fier d’être francophone? Vous sentez-vous même francophone? Qu’est-ce qui fait un francophone? Telles sont les questions auxquelles j’ai souvent été confrontée en tant que jeune franco-albertaine dans un environnement majoritairement anglophone. Même si je fréquente une école française, que j’écoute de la musique française et que je participe à des activités en français, mon identité est toujours à risque. 

Grace est en 12e année à l’École Maurice-Lavallée, l’une des seules écoles secondaires francophones d’Edmonton. Cet été, elle commencera sa première année à l’Université d’Ottawa en sciences politiques et l’histoire. Pendant son temps libre, elle aime lire, écouter de la musique et socialiser. L’aspiration de Grace dans la vie est d’aider le plus grand nombre de gens possible. Elle veut devenir avocate et se battre pour les droits des communautés marginalisées à l’intérieur et à l’extérieur du Canada!

J’ai immigré du Cameroun au Canada à l’âge de cinq ans et ma première langue était le français. Le Cameroun est un pays multilingue, avec deux langues officielles comme le Canada. Mais la langue dominante est le français. Même en tant que jeune, je comprenais que l’immigration était un choc. Un grand changement linguistique et culturel. Il serait faux de prétendre que le changement a été simple. Cependant, ma famille a trouvé du confort et de la familiarité dans les communautés francophones d’Edmonton. Mes parents nous ont inscrits à l’école francophone, il y avait du français à la maison, à l’église et nous faisions souvent des excursions à la Cité francophone, de sorte que le français était également présent dans nos vies quotidiennes. Bien que nous ayons changé de continent, les efforts de mes parents pour préserver le français nous ont donné l’impression d’être à peine partis. 

Toutefois, en Alberta, la langue dominante est l’anglais, et j’ai dû m’y conformer d’une manière ou d’une autre. J’ai commencé à apprendre l’anglais à la garderie de mon quartier. Initialement, je n’avais pas la capacité de communiquer ce qui m’empêchait d’interagir avec mes camarades. En conséquence, j’ai surtout parlé à cette ancienne Ukrainienne qui avait également immigré au Canada depuis quelques années. Elle était la seule à parler le français et comprenait les frustrations et l’isolement que les barrières linguistiques peuvent engendrer. Tous les jours, sans interruption, nous pratiquions notre anglais ensemble. Peu après, l’anglais est devenu un cours obligatoire à l’école primaire; j’ai été immédiatement séduite. C’est devenu ma matière préférée et je pratiquais ma grammaire anglaise même lorsque ce n’était pas obligatoire. Pour le plaisir, en quelque sorte. 

Malheureusement, je ne sais pas exactement quand cela s’est produit, mais je me suis retrouvée à parler anglais dans une école francophone.  Chaque fois que l’occasion se présentait, je parlais anglais: dans les couloirs, à mes amis, et même avec certains professeurs. C’est devenu la norme pour tous les élèves. Et la plupart des gens qui parlaient constamment français étaient, pour moi du moins, des ‘loosers’. Je trouvais un sentiment de sécurité dans la langue, j’étais bonne en anglais, je la pratiquais régulièrement, je n’avais pas l’impression que des yeux et des oreilles invisibles surveillaient chaque mot en attendant une erreur, comme je le ressentais en français. Par conséquent, l’anglais est devenu « cool » et le français « nul ». Cela devait être dû en partie au fait que je n’étais pas enthousiaste à l’idée de pratiquer mon français comme l’anglais. Honnêtement, je pense que c’est surtout une question d’insécurité. Même si à la maison, mes parents essayaient de maintenir notre langue en nous demandant de leur parler français, entre mes frères et sœurs, c’était strictement en anglais, sauf si on essayait de nous dénoncer discrètement à nos parents. En résultat, j’avais une affiliation négative au français et même dans les espaces où j’étais forcée à le pratiquer, je ne le faisais pas.  Je ne dirais pas que je perdais mon identité. Mais je dirais que je perdais mon français. 

En dixième année, aussi embarrassant que cela puisse paraître, je n’ai rien fait pour remédier à cette dégringolade. J’ai commencé l’école secondaire avec un vocabulaire plus restreint que celui que j’avais à l’âge de 10 ans. Je perdais mes mots (ce qui est encore le cas) et je parlais avec beaucoup moins de confiance. L’anglais est devenu mon filet de sécurité, et comme le parler à mes amis était la norme, je n’ai pas eu à affronter mon insécurité et à essayer de sauver ma langue.

En onzième année, notre enseignante de français était la plus énergique de toutes les enseignantes que j’ai jamais eue. Elle avait un enthousiasme pour la culture française que je n’avais jamais vu auparavant. Ses cours étaient passionnants et divertissants, et il était agréable d’être en sa présence. C’est l’une des premières enseignantes qui a vraiment inspiré  chaque élève. Son énergie et sa passion se sont répandues dans chacun de nos cœurs. Les gens faisaient des efforts pour parler français dans sa classe et nous la respections tous. Elle nous a assuré que nous étions tous de bons écrivains, ce qui est difficile à croire, surtout en français, mais elle nous a tous encouragés à poser notre candidature pour les concours de rédaction national du Français pour l’avenir. J’étais intriguée à l’idée de poser ma candidature grâce à elle. Et le sujet m’intéressait. Pour être tout à fait honnête, il m’a fallu beaucoup de temps pour écrire quelque chose en dehors de l’école et pour me mettre dans une position aussi vulnérable. J’ai tout de même posé ma candidature et demandé à mon professeur de français de la corriger. C’était ma première étape pour m’engager dans la communauté française. Après lui avoir parlé de mon insécurité linguistique, elle m’a recommandé de commencer doucement. En changeant mon téléphone en français, en parlant à mes camarades en français et en consommant plus de médias en français.

 À ma grande surprise, j’ai gagné une bourse! Le fait d’avoir obtenu une bourse pour l’école de mes rêves m’a poussé à m’engager davantage dans des activités en français. J’y ai vu une motivation et une raison de m’engager dans mon français. Je ne dis pas que ma langue est parfaite aujourd’hui et j’ai encore du mal à continuer à parler français de manière décontractée, mais ma relation avec le français m’appartient. Parler français, aussi « embarrassant » que cela puisse paraître, est un privilège. Vous ne pouvez pas oublier votre identité. Être francophone n’est pas un sentiment mais un état d’esprit. Mon environnement a changé mon point de vue sur ma langue, mais il n’a jamais changé mon identité. Après d’innombrables années à entendre des enseignants et des parents me rappeler de parler français, faire des discours sur l’importance de la francophonie, se plaindre que mes camarades perdent le français, rien de tout cela ne m’a vraiment convaincue. Lorsque j’ai décidé de me plonger dans ma culture, c’est grâce à mes convictions personnelles et au soutien que j’ai ressenti parce que j’essayais. Il suffit d’un premier pas.

Cet été, je déménagerai de l’Alberta pour poursuivre mes études à Ottawa. Je quitte ma ville d’enfance, mais je ne quitte pas mes racines. Mon identité franco-albertaine est quelque chose qui restera toujours avec moi. Je me sépare de mon environnement mais ma volonté, les valeurs, la richesse et la diversité qu’apporte la francophonie resteront avec moi. Définir ce que veux dire être francophone est aussi complexe et unique que la personne qui parle français. La francophonie n’a pas de ‘‘look »,’ ni de son, ni même de manière spécifique. Personnellement, c’est en écrivant, en dansant et même en écoutant que je me sens le plus francophone. Est-ce que cela fera de moi moins francophone que le prochain? Non! La seule façon d’être fier de notre francophonie, c’est la personnaliser, la développer de manière créative, de s’engager dans des activités, et faire de la promotion. Cela vous permettra de trouver un sentiment d’appartenance qui vous poussera davantage à approprier votre identité. Si vous lisez ceci, vous êtes déjà francophone. Mon objectif n’est donc pas de vous faire apprendre le français, mais plutôt de vous inciter à célébrer et à promouvoir votre personne. À partager votre culture, et de trouver un moyen d’approprier VOTRE identité! C’est à vous de trouver, de créer, d’explorer les petites merveilles qui vous donnent envie de crier : Vive MA francophonie. Vive TA francophonie. Vive LA francophonie. En conclusion, je vous demande maintenant: quelles mesures allez-vous prendre pour préserver votre identité? Qu’est-ce qui vous fait dire que vous êtes fier d’être francophone? Qu’est-ce qui vous donne envie de faire grandir votre communauté? Mais surtout, qu’est-ce qui rend votre francophonie LA VÔTRE ? 

« Quand on n’a plus de passé, on n’a plus de présent, et encore moins d’avenir »

Félix et la source invisible, Éric-Emmanuel Schmitt, 2018


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