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Biographie de l'auteure : Article écrit par Ariane Millette. En 2013, Ariane Millette a remporté une bourse de 1000 $ grâce au concours national de rédaction du Français pour l’avenir. Elle a complété un baccalauréat en lettres françaises à l’Université d’Ottawa ainsi qu’un certificat en création littéraire à l’Université Laval, où elle étudie toujours.. |
En 2015, l’Association des Sourds du Canada estimait qu’il y avait environ 3,21 millions de malentendants au pays. En 2020, il y a donc plus de 3,21 millions de Canadiens pour qui le masque rend davantage difficile les échanges. Mais qu’est-ce qu’être malentendant?
Être malentendant*, c’est comme aller à un concert où il y a tellement de bruit que vous ne pouvez pas communiquer sans difficulté. Vous ne saisissez pas tous les mots de ceux qui sont littéralement en face de vous ou à vos côtés. Vous vous épuisez à force de les faire répéter. Parfois, vous manquez des phrases complètes. La musique et l’enthousiasme de la foule couvrent presque tout de vos échanges.
Avoir des problèmes d’audition, c’est mal comprendre comme si on était à un concert alors que le silence règne autour de nous. Plus il y a de personnes qui participent à une conversation, plus c’est bruyant; plus les gens sont espacés de nous, plus notre incompréhension empire. Le niveau de concentration requis pour suivre une conversation mène souvent à des maux de tête. Nos prothèses auditives ont des limites. Tout bruit simultané est plus fort que la parole. Nous n’entendons jamais les élèves au fond de la classe. Nous devons user de sous-titres pour bien suivre un film, même si nous l’écoutons dans notre langue maternelle. Nous utilisons la lecture labiale et les expressions faciales pour transformer les sons en mots ou deviner ce que nous ne pouvons ouïr…
En ce temps pandémique, nous entendons encore plus mal. La distance n’a jamais été de notre côté pour entendre, mais nous la respectons. Nous sommes davantage coupés du monde par un objet : le masque. Comme l’indique son nom, le masque masque la parole. Il l’emprisonne et la déforme encore plus. Lorsqu’une personne a la bouche couverte, nous avons l’impression que nos prothèses auditives sont défectueuses, que l’amplification des sons qu’elles nous procurent a baissé. Nous comprenons que, durant la pandémie de Covid-19, il est essentiel de se protéger et de protéger les autres, c’est pourquoi nous ne refusons pas le masque, mais nous insistons plutôt pour que les gens optent pour un masque adapté, avec une visière transparente au niveau des lèvres. Si le couvre-visage a une fenêtre, nous pouvons lire la plupart de ce que les gens disent. De plus, un masque adapté ne sert pas qu’aux sourds et malentendants, il permet aux personnes autistes de mieux déchiffrer les émotions, aux personnes apprenant une nouvelle langue de s’aider de repères visuels, etc.
Qui ne veut pas voir un sourire en ces temps difficiles ?
Si vous ne pouviez que comprendre autrui en lisant sur les lèvres, vous voudriez qu’on porte un masque qui vous permet de voir la bouche. Nous, les personnes malentendantes et sourdes, avons fait d’innombrables efforts toute notre vie pour communiquer avec vous, chers entendants. Pourquoi ne pouvez-vous pas faire de même ? Porter un masque accessible ne vous donnera pas mal à la tête et n’engendrera pas d’anxiété.
Cela dit, masque accessible ou pas, il existe d’autres moyens de communication. Voici quelques-uns des plus utiles en ce temps pandémique :
- Gardez patience, puis répétez autant de fois qu’il le faudra, et ce, sans crier. Cela évitera une situation malaisante pour la personne malentendante.
- Si vous avez un problème d’ouïe, affichez votre surdité, entre autres par un macaron ou un collant, en montrant la CommuniCarte d’Audition Québec, ou en le mentionnant explicitement.
- Si possible, optez pour une visière lorsque vous vous heurtez à un client malentendant ou sourd. Simplement le temps de le servir.
- Traînez un calepin et un stylo avec vous. En cas de besoin, vous pourrez écrire ce qu’autrui ne saisit point.
- Tentez de converser dans un coin plus calme, sinon moins achalandé. Par exemple, faites signe à la personne malentendante de vous suivre pour se rendre à cet endroit moins bruyant.
Pour tout dire, le Covid-19 n’est facile pour personne. Par contre, il est possible d’améliorer le quotidien de son prochain en tenant compte de ses besoins particuliers. Si vous êtes enseignant, vous pourrez, par exemple, privilégier la circulation de l’information écrite, tel qu’en donnant des textes à lire et en accompagnant vos discours de PowerPoint détaillés. Si vous êtes employeur, vous pouvez engager un interprète ou un preneur de notes pouvant participer aux réunions à distance. La vie n’a pas toujours à être un concert!
* J’ai priorisé le terme « malentendant.e », car c’est ce que je suis. J’ai écrit ce texte selon mon expérience de la surdité. D’ailleurs, pour les communautés sourdes et malentendantes, « malentendant » et « sourd » ne sont pas synonymes.
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter les pages suivantes :
https://www.auditionquebec.org/produits-audition/Carte-utilitaire-masque-opaque-p209297643
https://www.auditionquebec.org/covid19
https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/port-du-couvre-visage-dans-les-lieux-publics-en-contexte-de-la-pandemie-de-covid-19/#c60620 (fabriquer un modèle avec fenêtre)
http://www.disabilityissues.ca/english/Link_docs/sourdes.pdf
https://fr-fr.facebook.com/masurdite/ (dessins sensibilisants de Kim Auclair)